D’aussi loin que je me souvienne, et un nombre incalculable de fois, je me suis interrogé sur mon degré d’adéquation lorsqu’il s’agissait d’exprimer ma gratitude. Très souvent, en effet, lorsqu’il s’agissait de remercier quelqu’un pour un service rendu, une attention particulière ou toute autre chose, j’avais le sentiment de susciter chez certaines personnes un mouvement de recul étonné. Je captais souvent chez l’autre, quand ce n’était pas une gratitude feinte, une sorte de désaffection voire de dédain à l’endroit même où je pensais trouver une occasion de connexion.
Longtemps, je me suis posé la question de savoir ce qui motivait cette réaction inattendue ; avec tristesse et culpabilité étant enfant … avec une sorte de frustration rageuse à l’adolescence … et, finalement, les années passant, avec le sentiment d’avoir à en apprendre quelque chose.
La question centrale fut alors de savoir ce qui, dans l’humain, reçoit et donne …
« Qu’est-ce qui donne chez moi, lorsque je reçois ? » c'est-à-dire « D’où part ma gratitude ? » et
« Qu’est-ce qui reçoit chez l’autre, lorsque je donne ? » c'est-à-dire « Quel endroit je touche chez l’autre lorsque je remercie ? » …
Et d’une façon générale, comment donne-t-on ? Le fait-on avec le désir plus ou moins avoué de recevoir quelque chose en retour ? … ou bien le fait-on en répondant à un véritable et profond élan du cœur ?
Mais aussi : Comment prend-on ? : avec la paume ouverte vers le haut en mode accueil et communion ? … ou avec la main qui agrippe et saisit … comme une griffe … en mode consommation ? »
Vis-à-vis du « donner » et du « recevoir », toute intention peut être localisée en deux « lieux » distincts : l’intérieur et l’extérieur.
L’intérieur est le fief de l’amour : le cœur, l’essence, … l’âme sûrement. Le Soi aurait dit Jung ; alors que l’extérieur se rattache au Moi et à tout ce qui motive ses dynamiques visant à réduire la peur. L’extérieur est le monde du masque, de l’adéquation … de la Persona – Le monde de l’ego qui recherche au-dehors la reconnaissance dont il n’a pas été nourri au-dedans.
Mais alors, comment se fait-il que les personnes dont je parle n’éprouvaient pas de vraie gratitude en écho de celle que je leur faisais parvenir depuis le cœur ? Elles auraient dû se sentir reconnues par ma reconnaissance ?!?!
Précisément … parce que ma gratitude qui visait leur cœur ne pouvait atteindre ce cœur – La reconnaissance qu’attendaient ces personnes concernait l’écorce et non le noyau … les attributs visibles … cette part d’elles-mêmes qu’elles investissaient lourdement au mépris d’une intériorité qui n’était pas leur priorité.
Comment pouvais-je prétendre, depuis le cœur, toucher cette part extérieure de l’autre à laquelle je ne m’adressais pas ? Et comment pouvaient-ils recevoir superficiellement, et uniquement sur ce mode, ce que j’adressais à leur profondeur ?
Et pour moi … d’où venait cette gratitude ?
Bien évidemment, ni les choses, ni les êtres ne sont autant clivés …
Nous sommes toutes et tous sous l’emprise d’un moi qui cherche à s’adapter et à survivre. De même, toutes et tous avons une essence à découvrir au cœur de soi … Chez certaines personnes, elle est facilement et souvent palpable alors que chez d’autres, elle se trouve empêchée par des couches et des couches de peurs, de croyances … de conditionnements très prégnants et parfois, de traumatismes.
Pour tout humain, le défi est dual : Il s’agit à la fois de travailler à se connecter encore et encore avec ce centre en soi-même (et donc, potentiellement en l’autre) – Il est question d’ouvrir son cœur - … et également de ne pas céder à la tentation de fermer ce cœur du fait de ne pas trouver preneur à nos élans. Élans qui risquent fort de s’effilocher au gré des blessures …
Défi complexe dans un monde dominé par l’individualisme, l’image, le matérialisme, la comparaison, la performance et la compétition (énumération non exhaustive) … Défi qui nous invite à donner encore et toujours indépendamment de la façon dont l’autre reçoit.
Défi sage mais ô combien difficile à relever car, comment donner à qui ne prend pas !?!?
Un sourire, une ouverture, une force d’accueil … Tout cela ne me coûte rien en termes marchands … Et dans l’idéal, que l’autre prenne ou non ne m’ôte rien … à moins que quelque part en moi je n’en attende un retour.
Je suis responsable de ce que je donne et de la manière dont je le fais … quant à l’autre, il reste l’unique responsable de l’accueil qu’il réserve à ce que j’offre.
Lorsque je me sentais blessé … quand je prenais sur moi la responsabilité de l’accueil de l’autre … il y avait sans doute une part de moi s’attachait encore à une forme de reconnaissance … Ainsi, mon désir de connexion existait (j’en suis sûr), mais il n’était pas complètement pur (j’en prends conscience avec les années d’existence) !
Mon intention était sûrement plus pure que la manière dont elle prenait corps … encore que je n’attendais rien d’autre qu’une correspondance à mes élans de vraie connexion … de cœur à cœur, mais d’une manière un peu forcée, certes. Comme voulant que l’autre puisse répondre à mes idéaux de fraternité – de connexion – de totalité …
Mon projet d’enfant et d’ado manquait sûrement de l’humilité dont il a besoin. L’élan ne manquait pas de beauté car il s’agissait d’un élan d’amour … mais il recelait cette forme d’exigence qui aurait voulu forcer l’autre à embrasser la même cause … Or l’amour ne se force pas. Sans doute y avait-il une forme d’omnipotence au service d’un désir d’unité très idéalisé. L’humilité consiste alors à ne se voir que comme une goutte d’eau participant à l’océan intégral, incapable à lui seul d’infléchir le destin de l’ensemble que composent toutes les gouttes … mais nécessaire car capable de transmettre un esprit qu’à leur tour, certaines gouttes pourront recevoir … et transmettre … etcetera … jusqu’à ce que, de proche en proche, l’œuvre soit complète !
Le mouvement commence par soi-même … et se transmet à l’autre … qui en reçoit le fruit ou ne le reçoit pas … qui l’accueillera peut-être un jour parce qu’avant, ça ne prend pas … et un jour, ça prend. L’erreur serait sans doute de se fermer sous prétexte que quelques sujets semblent hermétiques à ce que l’on offre. On ne sait jamais la trace qu’on laisse … ni quand, ni où on la laisse.
Aujourd’hui encore, il s’agit de tendre vers cette pureté d’essence et d’intention … humblement. S’épurer … S’affranchir de ce qui fait barrage à l’essence ; une essence qui pourrait rayonner pour ce qu’elle est sans attente d’un résultat. Atteindre, toucher et manifester cette essence autrement que de manière humble est sûrement l’affaire d’une vie … voire plus ( ???) … Comme une fonction mathématique dont la limite, de point en point, de vie en vie, d’expérience en expérience, tendrait vers l’infini. Cela semble être l’affaire d’une éternité et pourtant, il me semble essentiel de conscientiser ce concept le plus souvent possible dans nos relations … nos liens à l’autre et notre rapport à nous-mêmes : Un pas après l’autre.
Lorsque tu donnes depuis le cœur, ce que tu offres est gratuit … et c’est au divin dont l’autre est porteur que tu en fais le don … et le retour qui t’en est fait, si retour il y a, n’est pas attendu ; mais lorsqu'il vient, il te cueille et te remplit au-delà de tout espoir. Si tu attends quelque chose en retour, c’est que tu donnais depuis un Moi motivé par une arrière-pensée … ce que tu en obtiens alors n’est pas véritablement accueilli … tout au plus est-ce pris pour nourrir le manque et bien souvent, tu te retrouves plus vide qu’avant.
Cela vaut pour tout :
Quid des livres et des formations qu’on consomme jusqu’à satiété, qu'on veut obtenir à tout prix ... avidement ... et dont on n’intègre pas le contenu de façon profonde et durable … cela, dans l’espoir de se remplir d’un savoir qui n’accèdera jamais au stade de véritable connaissance … d’une expertise qui peinera à se muer en compétence ?
Quid de l’argent qu’on accumule sur des comptes ... des maisons qu'on remplit ... des conquêtes qu'on empile ... et « qu’on n’emportera pas au paradis » (selon la formule consacrée) … ?
Quid de l’autre que l’on approche, non pas pour établir un lien d’âme à âme, mais pour en obtenir une faveur, un bénéfice, un passe-droit … ou tout simplement, une reconnaissance qui viendrait remplir un vide identitaire ?
L’autre, non pas comme frère (valeur qualitative) … mais comme un filon lucratif (valeur quantitative) …
Certains peuvent penser que ce texte est moralisateur ... voire démago (Lorsque j'aborde ces questions, je me l'entends parfois dire) ... Je trouve, au contraire, qu'il soulève une question essentielle.
Et toi … comment donnes-tu ? Comment reçois-tu ?
En surface ou en profondeur ?
Depuis le dedans ou le dehors ?
Le cœur ou le mental ?
Le noyau ou l’écorce ?
Le Soi ou la Persona ?
Depuis ta plénitude ou ton manque à être ? …
MERCI
Bình luận