Une réflexion sur la place de chacun dans la relation d’accompagnement.
L’expression « Je veux que ça change » est une phrase que j’entends souvent lors des premières rencontres avec les personnes en demande d’aide. La tournure laisse supposer que le problème est au-dehors. À un niveau plus profond, elle signifie très implicitement qu’il n’est absolument pas question (pour l’instant, du moins) d’une remise en question de son propre système ; en d’autres termes le client/patient nous dit qu’il ne veut pas changer … ou, a minima, qu’il n’est pas encore prêt pour cela.
D’autre part, je ne compte plus le nombre de fois où un confrère en supervision a pu me faire part de son agacement (pour ne pas dire plus) face à cette forme de résistance chez le client.
Bien évidemment, pour l’accompagné comme pour l’accompagnant, cela pose la question des limites de soi et de l’autre, ainsi que de la Place et des déplacements de responsabilité.
Le premier (le client) déplace la responsabilité de ses malheurs sur la Vie et semble exiger réparation en déposant la responsabilité de son mieux-être dans les mains du praticien,
Le second (le praticien) et pour x raisons, accepte de prendre sur lui la responsabilité du changement de l’autre, en déployant son arsenal de techniques (très utiles mais pas en excès) … se substituant ainsi à la Vie qui fait son œuvre pour chacun de nous.
Voilà une drôle de relation où la co-dépendance règne en maître … Une relation qui ressemble à s’y méprendre à celle qui nous liait à nos figures parentales lorsque, adolescents, nous criions à corps et à cris l’octroi d’un espace dans lequel nous pourrions faire l’expérience d’une responsabilisation qui nous libèrerait de l’aliénation au désir d’un « parent supposé savoir ». Se désidentifier des codes externes pour s’identifier à ceux qui résonnent en nous…. Et je le dis sans aucune connotation de jugement : dépasser l’adolescence et devenir Soi !
Mais au cœur de l’accompagnement, que nous le dirigions ou que nous le recevions, l’heure arrive où il n’y a pas d’autre choix que de placer les responsabilités de chacun à l’endroit juste … Sans que nous en ayons véritablement conscience, la Vie nous pousse à cela. Et c’est alors que, si les deux acceptent le défi et que la rupture de l’alliance est évitée, les vraies compréhensions peuvent arriver :
Le client peut commencer à entendre l’expression d’une intériorité ancienne en lui, mais nouvelle pour ses perceptions. Voilà que l’accueil de cette voix opère une transformation au-dedans qui prélude à des changements concrets au-dehors …
Le praticien renonce peu à peu à la « toute-puissance » illusoire qui, jusque-là, le faisait se percevoir comme l’unique levier du possible changement salutaire pour l’autre … et donc, comme le dépositaire d’une sorte de vérité absolue … mais pas moins illusoire (Nous sommes tous passés par-là … nous y passons … et nous y passerons encore !)
Il est certes difficile pour le client de tolérer une autre vérité que celle qui lui a permis de tenir debout jusqu’ici … Difficile de déjouer le gardien qui le protège de la répétition des traumatismes mais qui l’empêchent de vivre pleinement … Tellement difficile de franchir le voile de ses peurs … Il est si compliqué de questionner le masque que nous connaissons si bien et qui craint par-dessus tout d’être destitué … Encore plus compliqué d’appréhender l’essence, cette grande inconnue. Or, il s’agit d’accepter (et d’assumer) tout un travail de désidentification et de réidentification … comme l’ado !
Difficile aussi pour le praticien d’éviter l’agacement quand le client n’accède pas à la vérité à laquelle il pense être lui-même parvenu. Ainsi, il y a également pour le praticien tout un travail de renoncement au costume si valorisant du « Sujet Sachant ». C’est ainsi qu’émerge un savoir issu de profondeurs insoupçonnées qu’il s’agit d’explorer … Un savoir bien moins rationnel … bien plus sensible et intuitif que nous sommes invités à accueillir bien plus qu’à forcer.
Sans doute faut-il du temps, pour l’un comme pour l’autre, pour se décentrer de l’identité de surface et franchir dans les profondeurs de soi le passage qui ouvre l’accès à une zone plus vaste : une zone où l’on fait taire le mental et ses injonctions … un espace où chacun se sera suffisamment délesté de son trop plein de certitudes pour accueillir une once d’une autre vérité : une vérité plus ancienne et authentique … La sienne et celle de l’autre.
Il y a un temps nécessaire pour que le sujet en demande purge toute sa vérité … celle de son existence. Une vérité qui n’est qu’une infime partie de LA vérité. Cette part qu’il doit pouvoir relativiser pour faire de la place en lui. Créer un vide capable de faire résonner l’écho d’une autre réalité bien plus grande au fond de lui.
Dans ce temps, le praticien pourra se questionner sur les limites de sa responsabilité. Il y a plusieurs points :
-Sa position face au client (Qu’est-ce qui me permet de dire que j’en sais plus que l’Autre ? Ce qui sous-entend : L’Autre sait-il aussi des choses susceptibles de stimuler mon propre questionnement et par-là même, de me rapprocher de ma propre essence ? Comment mettre de l’horizontalité dans une alliance trop verticale ?)
-Les conséquences pour l’autre (En imposant ma propre vérité à l’autre, en assumant la responsabilité de son processus, ne suis-je pas en train de le remplir plus qu’il ne l’est déjà et de bloquer l’expression de son essence ? … Ne suis-je pas en train de le contraindre à troquer une illusion par une autre ?)
-Les conséquences pour soi-même (Et, finalement, ne suis-je pas en train de renforcer mes propres croyances ? … celles qui, précisément, nourrissent l’histoire que je me raconte à propos de moi et de mon rôle … celles qui donnent un surcroit de crédit à mon Moi et me séparent aussi de mon JE … de mon essence ?)
-Son humilité et sa posture (Je ne suis ni plus bas ni plus haut que l’autre. Je me situe au contraire dans un rapport qui tend vers une parfaite horizontalité où lui (elle) comme moi, sommes égaux face à la Vie qui gouverne nos existences … Égaux face à ce qui, dans cette relation d’aide, vient se dire pour l’un comme pour l’autre !).
Pousser les certitudes de l’écorce - les mettre de côté – prêts à accueillir ce qui provient du noyau. C’est ainsi que nous aidons véritablement – ou disons plutôt, que nous laissons l’aide se diffuser à travers nous. C’est également ainsi que nous enrichissons notre vision et construisons, au fil des expériences, l’identité et la posture d’un praticien plus à même d’aider véritablement … non pas depuis notre propre vision de psy ou de coach, mais depuis ce que la vision d’un autre vient dire sur des profondeurs qu’il nous reste à découvrir et qui nous concernent tous les deux.
Nos métiers de l’accompagnement nous offrent à tous, praticiens comme clients, des espaces d’une valeur inestimable si tant est que nous ayons le courage de remettre en question cette petite pointe de l’iceberg que nous croyons être notre totalité. Nos métiers offrent des espaces où se font des rencontres précises : celles qui viennent nous mettre au contact de ce qu’il nous faut apprendre ici et maintenant en termes de limites de soi et de l’autre afin de permettre une rencontre véritable de l’Autre et de soi … une rencontre délivrée de toute fusion, de toute confusion, de toute volonté d’emprise et d’aliénation.
Pour le client, c’est un chemin de libération …
Et pour nous, règne l’idée que chaque client est l’occasion d’apprendre un nouveau monde : celui de l’Autre dans toute son authenticité … et qui nous ouvre à celui de l’intérieur de Soi !
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